Une chose est sûre, le bonheur fait vendre. C’est même devenu le fond de commerce juteux de très nombreux blogueurs et auteurs. Il semblerait que tout le monde cherche à être heureux mais ne sait plus comment faire. Le malheur et la tristesse, par opposition au bonheur et au fait d’être heureux, seraient semblerait il les maux du siècle. Partout, je lis que pour être heureux, il faut « vivre l’instant présent » mais je dois confesser que cette injonction au bonheur, mêlée d’un égocentrisme certain, me dégoûte. Vivre dans l’instant présent et nous recentrer sur nous même, j’ai l’impression que c’est ce que l’on fait déjà tous beaucoup trop. C’est précisément ce qui nous conduit droit dans le mur à une vitesse vertigineuse.
Pléonasme des temps modernes
Depuis quelques années maintenant, on nous rabâche à longueur d’articles, de publications, de revues, de livres et j’en passe, qu’il faut « vivre dans l’instant présent ». En réalité, je crois que nous vivons tous déjà dans l’instant présent, qu’il s’agit d’une sorte de pléonasme. Comme « monter en haut », « vivre maintenant » me fait l’effet d’une grossière évidence : où diable pourrait-on vivre si ce n’était dans le présent ? Par exemple, prenez cet huissier qui vient vous réclamer l’URSSAF que vous n’avez pas payée depuis trois mois. Il est dans l’instant présent, à sa manière. Et lui, ce qu’il veut là maintenant, c’est récupérer votre argent. Vous êtes face à lui, mais a priori votre expérience du présent est sensiblement différente. Pourtant, c’est le même présent. J’ai mieux encore, prenez le réchauffement climatique et l’extinction des espèces animales entre autres, ce que l’on appelle l’effondrement. En serions-nous arrivés là si nous vivions ailleurs que dans un présent égocentrique où seul notre confort compte ? Si nous nous projetions tant dans l’avenir – puisque c’est ce qui nous est reproché – en serions-nous arrivés à épuiser les ressources annuelles de notre planète, chaque année un peu plus tôt ?
Oui mais non ! Parce que voilà, selon les pro-moment-présent, dans l’instant présent vous respirez toujours, donc tout le reste n’a pas d’importance. Puis ce que vous sentez l’air entrer par vos narines, plus frais en entrant et plus chaud en sortant, qu’y a-t-il de plus important ? Rien n’est ce pas ? Super. Ce serait donc ça le bonheur, n’en avoir plus rien à foutre faire de tout ce qui nous entoure ? Je n’y crois pas. C’est pourquoi je me demande quand cessera donc ce flux de publications qui se suivent et se ressemblent sur les bienfaits de vivre dans l’instant présent. Ces publications aseptisées me donnent l’impression que même ceux qui les écrivent ne le font que pour être dans la tendance, parce que c’est bien… parce que ça fera des lecteurs ? Mais dans le fond, je reste intimement persuadé que ces mêmes auteurs n’ont que faire des conseils qu’ils prodiguent et ne se les appliquent probablement pas à eux même.
« Jusqu’ici, tout va bien… jusqu’ici, tout va bien… jusqu’ici, tout va bien… mais le plus important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »
Extrait du film « La haine »
Après tout, peut-être sommes-nous pareils aux autruches, ou aux tortues. Quand un problème se présente ou que l’on a peur, il nous suffirait de nous renfermer sur nous même, de fermer fort les yeux, de faire taire nos pensées avec le bruit de notre respiration et d’attendre ainsi que les choses se passent. Parce que là, maintenant, il n’y a pas de problème. C’est peut être humain après tout, ça me rappelle quand je devais faire mon rapport de stage et que tous les jours je repoussais parce que ce n’était pas encore le jour du rendu. Inlassablement, je devais courir la dernière nuit pour le terminer tant bien que mal dans les temps. Ce qui m’amène à penser que nous n’anticipons pas assez, et ce n’est pas la fourmi de La Fontaine qui viendra me contredire. Mais enfin, rassurez-vous car il n’y a aucun problème : asseyez-vous confortablement, le dos bien droit, prenez trois grandes inspirations, sentez comme l’air entre dans vos poumons… cramez la planète et gardez bien la pêche.
Le courage de vivre
Nous avons tous des galères, elles font parti de la vie. Nous en avons eu, nous en avons et nous en aurons encore. Au même titre que le soleil se lève et au même titre qu’existe la pluie, les galères ponctuent nos existences. Je crois néanmoins que l’on peut s’en prémunir, notamment en prenant des dispositions pour s’éloigner des situations ou des personnes toxiques. Par exemple, j’ai personnellement tendance à être sans pitié avec les gens ou les situations qui ne me conviennent pas. Car comme qui dirait, si quelqu’un vous a fait du mal une fois, c’est de sa faute mais si ce quelqu’un vous fait du mal une deuxième fois, alors c’est de votre faute. Donc, si j’ai le sentiment d’être mal à l’aise dans une situation, en endroit, ou en compagnie d’une personne, soit je règle le problème une bonne fois pour toutes, soit je ne m’approche plus jamais de ce problème. Je crois qu’il faut s’efforcer d’avoir la force de changer ce qui peut l’être, d’accepter ce qui ne peut l’être et la clairvoyance de faire la distinction entre les deux.
« La douleur est inévitable, la souffrance est une option. »
Youssoupha
Vous qui me lisez, peut-être serez-vous surpris.e en arrivant aux lignes qui vont suivre. Maintenez le cap s’il vous plaît, vous verrez que je ne vous veux aucun mal lorsque je dis que souffrances et peines sont nécessaires. Bien sûr, je ne suis pas en train de dire qu’il faille se les affliger soi même. Loin de moi cette idée ! Mais je pense que nous nous accorderons tous à dire que, que nous le voulions ou non, nous allons un jour en passer par là. En fait, vivre c’est un peu comme prendre la route. Et sur la routes de la vie, tant sur ses autoroutes que sur ses chemins boueux, les risques qu’un chauffard vienne vous frapper sont omniprésents. Tant et si bien qu’en définitive, c’est peut-être ce qui donne son goût à la vie. Après tout, quelle serait la valeur du bonheur, comment saurait-on l’apprécier à sa juste valeur, si nous ne connaissions pas la tristesse de temps en temps ?
En soi, vivre est un acte de foi. Nous vivons dans l’inconnu de ce qui va se passer dans l’instant suivant, et a fortiori le lendemain ou les jours qui suivront. En revanche, nous savons que la vie de chacun est pleine de défis. Leur tourner le dos me semble être un un acte d’une lâcheté sans nom. Nous sommes dans un monde discriminant, injuste et en péril. Il est de notre devoir de prendre ces problèmes à bras le corps, chacun à notre niveau, pour tacher de les résoudre ensemble. Comment peut-on vouloir le bonheur à tous prix dans un monde où l’on laisse périr des êtres humains en mer Méditerranée ? Où 1 pour cent de la population possède plus que les 99 pour cent restant ? Où l’on accepte – en fermant les yeux – tant d’atrocités en Libye ? Où l’on consomme à en faire vomir la terre de détritus ? Où l’on détruit le monde et la vie à petit feu ? Où notre impact sur la biodiversité est sans commune mesure avec tout ce qui a existé jusqu’à présent ? La réponse est simple : agir maintenant, oublier l’instant présent quelques minutes et se projeter dans l’avenir.
Se tourner vers l’avenir
Le bonheur est en nous et l’a toujours été. Depuis notre plus jeune âge, nous nous émerveillions des moindres petites choses. Regardez les enfants, voyez comme ils s’émerveillent d’un moindre rien : une ficelle et un carton, et les voilà en possession d’une fusée intergalactique. En fait, le bonheur est quelque chose que nous avons perdu, quelque chose auquel nous nous sommes nous même fermé.e.s. C’est pourquoi il me semble très étrange que nous ayons besoin de livres et d’articles pour se souvenir de comment être heureux. Mais je le comprends après tout, nous sommes aux prises d’échelles de temps et d’espace qui nous dépassent complètement. Avant, peut être que nous n’en avions pas conscience mais maintenant nous en somme plus que certains. C’est ce qui fait la beauté de la vie mais c’est aussi ce qui la rend angoissante. Certes plus nous sommes intelligent.e.s plus nous sommes amené.e.s à nous demander si nous sommes « trop intelligents pour être heureux », comme le titre Jeanne Siaud-Facchin.
Par exemple, si nous cessions notre accroissement dès demain, la terre continuerait à se réchauffer pendant encore une centaine d’année. Sachant qu’on a du mal à envisager ce qui se passera demain, qui se soucierait de ce qui se passera après sa mort, voire après la mort de ses enfants ? Voilà pourquoi je parle d’échelles de temps qui nous dépassent, et clairement il ne s’agit pas d’instant présent en l’occurence. Ou alors, l’instant présent qui n’est pas le vôtre mais celui que vivrons les enfants de vos petits enfants. Se projeter aussi loin demande donc un effort de pensée qui parfois nous échappe. Il est plus simple de nous focaliser sur l’instant présent que de penser la vie dans plusieurs centaines d’années. Mais faisons cet effort, tâchons d’être plus intelligent.e.s, de forger notre esprit critique et lire de la philosophie le plus possible. D’ailleurs, à ce qu’il paraît, les plus intelligents vivent plus longtemps !
Vous allez probablement me demander à quoi bon vivre plus longtemps et plus intelligent.e si c’est pour vivre malheureux.se ? Après tout, vous auriez raison de le demander puisque l’on vient de dire qu’a priori l’intelligence amène son lot d’angoisses. Paradoxalement, nous avons besoin d’intelligence et d’esprit critique plus que jamais nous n’en avions eu besoin. Les défis qui nous attendent sont ineffables. Alors oui c’est sûr qu’il est plus confortable d’éteindre son cerveau en allumant sa télévision, plus rassurant de se réfugier dans l’instant présent et dans le rythme de nos respirations. Mais pour combien de temps et à quel prix ? Quelle satisfaction pouvons nous tirer de cela ? La satisfaction de n’avoir rien fait quand tout allait au plus mal.
Éteignons nos télés, éteignons nos portables, ouvrons de bons livres et évadons-vous en faisant travailler notre imagination, notre créativité. Méditons, faisons du yoga, c’est toujours bien de se détendre, d’apprendre à se relaxer. Et réfléchissons, encore et encore, aux vrais problèmes de société que nous avons à résoudre. En réalité, je crois que le bonheur se trouve moins dans l’instant présent que dans notre capacité de résilience et d’acceptation. Accepter qu’il y ait des choses qui nous échappent, accepter que rien n’est éternel, accepter la peine, embrasser la vie… et résilience parce que se tourner et avancer vers l’avenir, en dépit des peines et des difficultés, est le seul chemin qu’il nous soit possible d’emprunter. Parce que nous devons faire face à des défis majeurs que nous avons à relevé en tant que peuple humain, nous ne pouvons plus nous focaliser sur l’instant présent et sur notre bonheur personnel. Force est de constater que cela ne fonctionne pas. Bien que nous connaissions le bonheur tout seul, à l’échelle humaine c’est un désastre qui entraîne la course aux richesses et aux conforts divers. Je pense que si nous voulons être heureux en tant qu’être humain, nous devons être heureux en tant que peuple vivant en harmonie avec les autres et avec la nature qui l’a vu naître.
Amitiés,
Romain