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Des infographies pour prendre de la hauteur.
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Je vous vois venir, avec vos regards inquisiteurs, à pointer du doigt le titre de cette publication. De quel droit ose-t-on parler d'imbéciles quand on est manager ? Oui, oui, vous avez raison... bien sûr, c'est contre les bonnes pratiques, les bonnes mœurs. C'est absolument à l'encontre du politiquement correct des discours lissés des entrepreneurs et des managers. Mais allez, arrêtons de nous mentir et regardons les choses en face. Manager les imbéciles est tout un art, c'est un savoir faire tout à fait particulier qu'il faut savoir acquérir. Question de vie ou de mort de vos nerfs, vous me remercierez plus tard.

Là où le bas blesse

Peu importe la taille de votre équipe, vous avez forcément déjà été confronté.e à cette situation. Vous savez, ce moment où vous répétez pour la millième fois que tel document va dans tel dossier mais que ce n’est pas fait. Ou cette fois de trop ou vous vous dites que ça ira plus vite de faire le travail vous même plutôt que de laisser la personne en charge le faire pour vous. Quand on en arrive à ce point, en général on se retrouve aigri.e. Aigri.e parce qu’on se rend compte qu’on fait le taff des autres et que pendant qu’ils prennent du bon temps, qu’ils sont en week end ou en vacances, peinards sur la plage, on se tape la correction de tout ce qu’ils ont mal fait. Qu’est ce que c’est frustrant, qu’est ce que ça agace, qu’est ce que ça saoule !

Personnellement, ça m’est arrivé très souvent au cours de cette année. Parfois même, je me suis mis sur le dos des charges de travail colossales pour palier au manque de compétences de certain.e.s collaborateurs.rices. Il faut dire que j’ai été à l’origine de beaucoup de changements chez Orchid Creation. J’ai mis en place de très nombreux process qui, dans cette course à la transformation numérique, sont prometteurs mais fluctuants. Nous avons revu ces process chaque trimestre ou presque, le temps de trouver le bon tempo, la bonne dynamique. C’est un lieu commun de dire que les changements sont difficiles et lents dans les organisations. C’est même un domaine à part entière : manager le changement. Il faut faire preuve de pédagogie, de patience et trouver les bons mots, aux bons moments. Et c’est vrai, parfois j’avais l’impression de passer mes journées à tenter de convaincre des gilets jaunes d’aller faire un plein d’essence.

Dans son baromètre « Digital Workplace » publié chaque année par l’IFOP, on apprend que plus de la moitié des collaborateurs français ressentent un manque d’accompagnement dans la transformation numérique. Ce manque d’accompagnement est selon eux.elles dû à des freins liés à l’organisation ainsi qu’à leur manager. Alors voilà, la messe est dite… Restons serviables, impliqué.e.s, volontaires, perfectionnistes et j’en passe. Mais n’oublions plus que lorsqu’on est convaincu.e que notre équipes est composée d’imbéciles et qu’on préfère bosser à leur place, c’est qu’il est temps d’envisager que, peut -être, l’imbécile c’est nous. Pour ne pas avoir fait gagner en compétences nos collaborateurs, pour ne pas avoir surveillé leur travail de manière systématique, pour n’avoir pas su les accompagner… ou, soyons honnêtes, pour avoir gardé des collaborateurs.rices toxiques trop longtemps dans l’équipe.

Manager des imbéciles

Accepter d’être un imbécile

Les gens ne sont pas dans votre tête et il est très difficile de « désapprendre » quelque chose. Lorsque vous savez quelque chose, vous ne pouvez plus vous mettre dans la peau de celui qui ne sait pas. Il est donc fort possible que vous pensiez vite, que vos idées soient brillantes et que les process que vous définissez pourraient changer la donne… mais une chose est sûre : de penser les process et de les implémenter sont deux choses qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. C’est bien beau de faire des process pour que les choses avancent, mais si vous ne savez pas les faire adopter par vos équipes, ça ne fonctionnera jamais. Dieu sait qu’insuffler le changement est difficile dans une organisation. Cela demande de la patience, et de l’acharnement, comme nous le disions à l’instant. Les bases d’un manager pourtant. Il faut revenir sur les choses, une à une, répéter, rappeler, relancer, surveiller… un travail si chronophage que la majorité des gens le zappent. En tout cas, moi je l’ai zappé très très fort.

Prenons un exemple. J’avais demandé aux équipes financières de ne plus éditer les numéros de facture à la main mais de laisser le logiciel faire son travail. Logique. Simple. Je leur ai demandé en début d’année et l’ai pris pour acquis puisque tout le monde était d’accord. Résultat des courses un an plus tard, les mauvaises pratiques sont revenues au galop sans que je ne m’en aperçoive et j’ai re-modifié toutes les factures d’une filiale, et toutes les intercos relatives. Des heures de travail. Bien sûr, je me suis énervé, ai considéré que le travail avait été mal fait, que le processus n’avait pas été respecté, que les gens étaient nuls, qu’ils n’y comprenaient rien… bref, j’ai ruminé pendant chaque minute des deux jours pendant lesquels j’ai refait le boulot. Qui est l’imbécile ?

A quel moment m’étais-je assuré que les factures étaient correctes ? Jamais. Moralité, dire les choses, les répéter, faire confiance, ne suffit pas. Pire, considérer que le problème vient des autres sans chercher plus loin est une erreur fatale. Si vous considérez que le problème vient de votre équipe, que vous vous les mettez à dos et perdez leur soutien, vous avez tout perdu. C’est le meilleur moyen pour terminer complètement isolé.e et un premier pas vers le burn-out. Et je crois qu’à un moment c’est ça qui m’a échappé : la bienveillance. Je me frustrais que les choses ne soient pas mises en place, que des erreurs soient faites et j’en voulais aux gens de ne pas bien faire leur travail ; c’est à dire de ne pas le faire comme j’aurais voulu qu’il soit fait. Sauf qu’en réalité, jamais je ne m’assurais d’être à leur côté, de les aider à bien faire leur travail. Encore une fois, c’est une chose de définir des processus mais c’est autre chose de les implémenter et de les transformer en une réalité habituelle tangible. Transformer les processus en habitude prend du temps. Le changement, ce n’est pas maintenant comme l’aurais aimé notre cher ancien président ; c’est plus tard.

« A quoi ça sert de faire des maths si on peut pas compter les uns sur les autres ? »

Youssoupha

Manager, changez la donne !

Lorsqu’on veut mettre en place de nouveaux processus, il faut s’assurer de leur implémentations et vérifier qu’ils sont respectés à chaque maillon de la chaîne. Il n’y a pas de secret. Il peut parfois s’agir de choses toutes bêtes, comme par exemple : « Est-ce que la dernière déclaration de TVA est bien dans le serveur, à tel endroit, avec tel nom de document ? Oui ? OK, montre moi… Ah mince! Finalement, il n’est pas là… Tu peux le mettre tout de suite s’il te plaît ? ». Une fois que vous avez vu que toutes les conditions d’archivage, de renommage, sont bien remplis, alors vous cochez la case. « Est-ce que tu as ajouté les coûts de ce prestataire au projet correspondant ?  » Oui ? « Ok, Montre moi… » et ainsi de suite. Depuis que j’ai mis ça en place, les erreurs sont évitées ou corrigées dès qu’elles se présentent ; pas six mois plus tard quand on ne se souvient plus à quoi correspondait telle ou telle opération.

Éradication de l’imbécilité (rien que ça !)

Pour être plus concret, j’en ai parlé avec Nicolas Fronteau, dont l’implémentation des processus et le management du changement est le métier. Il m’a conseillé de mettre en place des audits réguliers avec les membres de mon équipe. Je l’ai fait et ça a vraiment changé les choses. Attention, il ne s’agit pas d’un document lourd et fastidieux, c’est au contraire quelque chose de vraiment très basic. En gros, j’ai en entrée les points à vérifier, et les dates auxquelles ils doivent être vérifiés. Chaque semaine, ou toutes les deux semaines, je fais le tour avec chaque personne de l’équipe, individuellement. On passe les points en revue et si c’est ok, je coche, sinon on fait la modification nécessaire tout de suite. De cette manière, de nombreuses erreurs ont déjà été évitées. Ce document s’accompagne d’une petite LOOP (List Of Open Point) que l’on passe en revue en début de chaque meeting. La LOOP est un genre de todo list des choses qui doivent être faites ; histoire d’avoir toujours un oeil dessus et de ne rien oublier.

Pour résumer, voici ce que je vous suggère :

  • Préparer un document support très basic (si intéressé.e, je peux partager un model avec plaisir : envoyez moi un message)
  • Organiser des QuickMeeting réguliers et passer le document en revue
  • Partager le document de suivi des audits avec vos collaborateurs
  • Ne cocher les cases que lorsque toutes les conditions sont remplies
  • Ne raccrocher que lorsque toutes les cases sont cochées ou que la LOOP a été actualisée

Pour être tout à fait franc, j’appréhendais un peu ce nouveau suivi… J’avais peur de passer pour l’inspecteur des travaux finis, pour le monsieur-casse-couilles qui vient demander qu’on lui rende des comptes. Mais en fait, cela a été très bien accepté par les équipe. La plupart m’ont même fait savoir que ça les rassurait, que ça leur offrait un cadre et une sorte de rappel pour s’assurer qu’ils n’avaient rien oublié. Je suis ravi de cette avancée, j’apprends, tous les jours. C’est en manageant que l’on devient manager, la preuve en est faite encore une fois. Depuis, il n’y a plus d’imbécile dans mon équipe.

Pour conclure, je vous remercie d’être arrivé.e jusqu’ici dans votre lecture. Pardon pour le titre accrocheur et pour cette brusque introduction, je n’ai pas résisté à cette tentation racoleuse. En réalité, lorsqu’on manage des imbéciles, il y a fort à parier que l’imbécile c’est soi même. Alors si vous vous êtes reconnu.e dans ce titre, j’espère que les lignes qui l’ont suivi vous ont donner quelques pistes de réflexion qui vous aideront à revoir votre manière de travailler, de manager votre équipe. Soyez rassuré.e cependant, « il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis, c’est même à ça qu’on les reconnaît »… Changez vite, avant qu’on ne vous reconnaisse.

Crédit image : istockphoto.com

Sources

Baromètre 2018 « Digital Workplace »

Romain Maltrud

Entrepreneur, DAF à temps partagé et auteur de la newsletter "okr, bifton &liberté"

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